Exorciser le passé

«Comment oublier cet héritage commun, pourquoi renier ce qui nous unit au profit d’une politique qui nous sépare», écrit Nada Raphaël. «Vous savez, je pense qu’on est quand même, peut-être, plus ou moins, en sécurité, ici», témoigne la grand-mère de Zeina Abirached. Il s’agit de deux jeunes libanaises vivants au Canada et en France, Nada Raphaël et Zeina Abirached qui ont tenu à exprimer à travers leurs chefs d’œuvre respectifs, leur attachement à un Liban en pleine réconciliation , et leur volonté d’aider les Libanais, surtout les jeunes,  à exorciser le passé et exhausser l’avenir.

Trait d’union

Nada fut étonné lors d’un séjour touristique passé au Liban, que les Libanais sont accessibles, voire affables, pour parler, à la fois, de leurs petites guerres et de leurs vieilles querelles. Mille Histoires racontées par des gens qu’elle a croisés aux quatre coins du Liban (1050 localités) et dans la diaspora libanaise de Montréal. Mille photos de personnes, de paysages, de mythes, de lieux sacrés qu’elle a décidé d’immortaliser dans un livre, avec pour titre «Trait d’union Islam-Christianisme» aux Editions Electrochocs.

Nada et ses amis ont erré à travers les huit Mohafazats-départements du Liban, et ont rencontré toutes sortes de personnes qui ont exprimé librement leurs opinions, ont évoqué ouvertement leurs propres souvenirs, et ont raconté leurs expériences respectives. Ce n’est pas un essai sociopolitique, ni une étude académique, mais plutôt un recueil de témoignages plus ou moins confidentiels, enrichis de photos magnifiques et révélatrices.

Nada conclut avec son sourire angélique, que le peuple libanais, et malgré toutes ses guerres et ses souffrances, «garde au fond de lui une force de vie et une ouverture fascinante» ? Rencontrer, dialoguer, espérer, partager, se retrouver et cohabiter, à la recherche d’un meilleur avenir, comme partout où il ya eu et il y aura des conflits et des guerres. «A chaque coin de rue, nous avions du mal à quitter ceux et celles que nous venons de rencontrer», avoue pieusement dans son prologue avant de conclure : Un reflet comme un trait d’union. Un trait d’union, comme une relation…Comme un intermédiaire… Comme une passerelle… Comme une invitation… Comme un lien… 

Mourir, partir, revenir

Mourir, partir, revenir… tel, le Jeu des Hirondelles, aux Editions Hatem, est une bande dessinée, chef d’œuvre d’une artiste écrivaine libano-française  Zeina Abirached, récompensée et traduite en plusieurs langues, alors qu’elle est encore méconnue, ou bien ignorée dans son pays d’origine. Le jeu des Hirondelles est le fruit d’une sensibilité humaine, nourrie à son tour d’une expérience ardemment libanaise, et dotée d’une forme artistique contemporaine, voire même avant-gardiste. Dans son ouvrage, Zeina Abirached raconte son enfance, vécue dans des appartements situés sur la ligne de démarcation si célèbre à Beyrouth durant la guerre civile. Elle opte pour le style autobiographique pour exprimer ses émotions, vécues comme tous les Libanais qui ont subi de prés les horreurs de cette guerre fratricide. Ses personnages sont authentiques, mais ne portent aucune étiquette politique et ne proclament aucune appartenance confessionnelle. Pour une fois, ils sont tout bonnement libanais. C’est un ouvrage qui s’adresse, en même temps, à la nouvelle génération née depuis la fin de la guerre civile, il y a vingt ans, et qui n’a pas vécu ni connu toutes ces peurs et autres frustrations,… et aux parents et instituteurs qui ne savent pas par ou commencer, ni comment s’y prendre, pour répondre aux plus simples questions, comme aux grandes interrogations que leur posent leurs enfants et élèves, au milieu de tous ces événements et autre conflits survenus durant cette dernière décennie. «Le dialogue à l’école et dans les familles pourra ainsi faire naître une parole libératrice sur les souffrances subies afin d’ouvrir la voie à une réelle réconciliation» selon la conclusion du Dominique Renard, professeur de Lettres à l’Académie de Grenoble. Mais sommes-nous déterminés à exorciser le passé et exhausser l’avenir ? (23.4.2010)

 

Penser c’est philosopher

Souheil* est une étoile filante qui a choisi tôt de remonter le temps à la recherche d’une forme de joie, fruit de nos six sens. Enfanté au pied d’un minaret (Mine yara) il a écouté et examiné presque tous les discours des ancêtres, précurseurs et autres annonciateurs. Il a fait le grand choix quand il s’est envolé un jour vers les plaines de la Russie. Depuis ce jour-là il assume brillamment son destin.

Il s’est promené longtemps, le long de ses fleuves sans confondre la Volga avec la Polka ou bien la vodka. Il a pris tout son temps à fixer les visages et pénétrer l’âme d’un peuple riche, vigoureux et attachant. Il a goûté au spirituel, savouré le profane, apprécié le temporel, et œuvré pour une humanité sans frontières. Souheil pense que la philosophie a enfanté toutes les sciences et engendré toutes les civilisations. En effet penser c’est philosopher. Philosopher c’est rêver. Rêver c’est imaginer un monde nouveau, un monde meilleur. Philosopher c’est aussi dialoguer. Dialoguer c’est retrouver l’âme sœur sinon réduire toutes les différences avec les autres, et vivre en paix. Croire en un seul Dieu tout puissant et miséricordieux, nous oblige à partir inlassablement à la recherche du vrai, du juste, du beau et du bon. Seuls les fainéants, les traînards et les démissionnaires abdiquent et renoncent.

* Souheil Farah, chercheur, professeur de philosophie à UL (1.7. 2009)